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La Déclaration des droits des personnes handicapées de l’ONU (1975) : Le récit d’une victoire diplomatique en temps de guerre froide

Décembre 1975. En pleine guerre froide, un exploit diplomatique belge passe presque inaperçu.
Alors que le monde est divisé entre le bloc de l’Est, mené par l’Union soviétique, et celui de l’Ouest, dirigé par les États-Unis, les tensions sont palpables. L’ONU devient le théâtre de confrontations diplomatiques tendues. Et pourtant, dans ce contexte explosif, la Belgique parvient à faire adopter la toute première Déclaration des droits des personnes handicapées. Un tournant historique, à la fois discret et décisif.

Une Initiative Belge Née du Terrain

Tout commence à l’automne 1974, en Belgique. L’Action Commune Nationale des Handicapés, forte de milliers de militants engagés, soumet au gouvernement un projet ambitieux. Son objectif ? Garantir aux personnes handicapées des droits fondamentaux : accès à l’éducation, à l’emploi, à un niveau de vie décent et à une intégration sociale pleine et entière. À cette époque, ces droits commencent à peine à émerger sur la scène internationale.

Le ministre belge des Affaires étrangères, Renaat Van Elslande, décide alors de soutenir l’initiative. Il en confie la responsabilité à Édouard Longerstaey, représentant permanent auprès de l’ONU, et à Patrick Nothomb, son conseiller expérimenté.

Une Stratégie Diplomatique Audacieuse

La mission s’annonce délicate : convaincre rapidement une majorité de pays membres de l’ONU de soutenir la déclaration, tout en contournant les lourdeurs procédurales classiques.
Plutôt que de suivre le circuit habituel – long, complexe et semé d’embûches –, la délégation belge choisit de présenter directement le texte à la Troisième Commission des Nations unies, spécialisée dans les questions sociales et humanitaires. Un pari risqué, mais calculé.

Une Campagne Intense dans les Coulisses de l’ONU

Pendant plusieurs semaines, les diplomates belges multiplient les négociations. Leur objectif : rallier les pays occidentaux, mais aussi les nations du tiers-monde, clés pour obtenir un large consensus. Ils engagent également des discussions discrètes avec les représentants du bloc socialiste, dont l’appui s’avère crucial.

La négociation la plus complexe se déroule avec l’Union soviétique, qui critique le texte pour l’absence de droits politiques. Pour lever ce blocage, Longerstaey accepte d’y intégrer un amendement reconnaissant explicitement les droits civils et politiques des personnes handicapées. Une concession stratégique qui ouvre la voie à une adoption sans opposition frontale.

Une Adoption Historique, Rapide et Inattendue

Début novembre 1975, la délégation belge présente le texte amendé. Malgré quelques critiques isolées – notamment de l’Argentine et de la RDA –, la Déclaration est adoptée par consensus, sans vote formel. Une issue rare, presque miraculeuse à cette époque.

Cette adoption éclair est saluée comme un tour de force diplomatique, fruit d’un travail acharné et d’une vision claire.

Une Victoire… avec des Limites

Mais cette victoire n’est pas exempte de critiques. La rapidité du processus a exclu la participation des ONG, traditionnellement impliquées. En conséquence, certains aspects cruciaux – comme l’accessibilité des lieux publics ou les droits spécifiques des femmes handicapées – sont absents du texte final.

Un Héritage Durable pour les Droits Humains

Malgré ses lacunes, la Déclaration de 1975 marque une avancée historique : c’est la première reconnaissance officielle, à l’échelle mondiale, des droits des personnes handicapées par l’ONU. Ce moment témoigne de la puissance de la diplomatie, même discrète, dans la défense des droits fondamentaux.

Il rappelle aussi qu’une petite nation peut accomplir de grandes choses, même au cœur des rivalités géopolitiques les plus intenses.

Source :

  • D’après Brégain, Gildas, « La fabrique de la Déclaration des droits des personnes handicapées de l’ONU (1975) : un succès diplomatique rapide en temps de guerre froide », Droit et Société, 113/2023.

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